3.06.2007

À Natashquan un enterrement... quatre morts...




Tout en feuilletant les pages de ce premier journal de la Côte qu'est L'Écho du Labrador Canadien le missionnaire résident Arthur Divet nous permet la réalisation d’une autre petite chronique rempli d'aventure. Cette fois-ci, ce sera avec nos voisins, les Montagnais de Natashquan; ceux-ci revenant d'un long et périlleux voyage de chasse d'une durée de plusieurs mois à l'intérieur de leur territoire ancestral.

B.Landry

À Natashquan
un enterrement… quatre morts...

... La chasse va bientôt finir et les indiens sont sur le point de « sortir du bois » nous disaient nos paroissiens, aux approches de Pâques. L'on pense bien que j'avais hâte de voir quelques spécimens des descendants de vieille famille montagnaise. Ma curiosité fut un peu déçue mais satisfaite quand même. Dès le lundi de Pâques, trois indiens accompagnés d'un interprète, viennent au presbytère nous avertir que plusieurs des leurs étaient morts dans le bois et qu'ils devaient les amener pour leur donner sépulture dans le cimetière de la mission. C'étaient trois hommes dans la force de l'âge. Leurs cheveux longs et huileux, leur teint jaunâtre tirant sur le noir, leurs pommettes saillantes, tout dans leur personne donnait des indices certains de leur origine véritable et de leur genre de vie primitif. Cependant ni le vêtement, ni les manières un peu timides mais très polies, ne le cédaient en rien à la distinction des blancs.

Il fut convenu qu'ils reviendraient avec leurs morts dès les premiers jours de la semaine suivante. Leurs familles étaient cabanées à vingt-cinq ou trente milles de là, à la quatrième chute de la rivière.
Mais l'homme propose et Dieu dispose... Les premiers jours qui suivirent, il fit un temps affreux; dégel, pluie, brouillard; par conséquent impossible de trainer les sleighs (traineaux) sur la neige (car elle est) trop molle. Le vendredi de la « Quasimodo », un froid très intense reprit et rendit praticables les sentiers pour les traînes. Mais en même temps, un vent des plus vifs et une poudrerie aveuglante ne cessèrent de la journée.

Le Père Pihan était absent depuis plusieurs jours, en mission à Aguanis (Aguanish) et Piaster Baie (Baie-Johan-Beetz). Vers quatre heures du soir, un blanc vint m'avertir de l'arrivée des indiens. « Ils sont tous là » dit-il, « contre le mur de l'église ». Je sors et j'aperçois en effet une bande de quinze individus exténués par la longueur et les difficultés de la route.

Sur la première sleigh était attaché le cercueil du vieux Jérome, âgé de quatre-vingt ans. Il était mort depuis trois semaines. Sur la deuxième, se trouvait son canot d'écorce dans lequel on avait placé son fusil, ces deux fidèles compagnons de sa vie qui l'accompagnaient ainsi jusqu'au bord de sa tombe. C'est la coutume. Sur une autre sleigh était amarré le cercueil d'une femme de trente ans. C'était son mari lui-même, accompagné de son jeune enfant qui l'avait trainée jusqu'ici. Enfin, il y avait encore le cercueil d'un petit enfant de cinq ans et celui d'un bébé de deux mois.

Il m'était impossible d'enterrer ces cadavres en ce moment, les fosses n'ayant pas été creusées dans le cimetière. Je fis donc porter les corps dans le caveau de l'église et pendant que les indiens allèrent prendre chez leurs traiteurs, une nourriture et un repos bien mérité, quatre blancs se mirent en devoir de creuser une fosse commune pour recevoir tous ces corps le lendemain matin.

Comme il fut triste ce lendemain! Pendant les cérémonies, je ne pouvais m'empêcher de penser aux fatigues et aux privations de toutes sortes qu'endurent ces pauvres gens pendant l'effrayante saison d'hiver, les femmes surtout. Celle qui reposait là dans son cercueil taillé à la hache et au couteau, avait été malade pendant de longues semaines. Durant tout ce temps-là, son mari l'avait trainée dans ses courses à travers le bois, peut-être à 80 ou 100 lieues (1 lieue égale 4.445 kilomètres ou 2.7 milles anglais) d'ici, toujours attachée sur sa sleigh... Enfin un jour, elle était morte d'épuisement et de souffrances en baisant son grand crucifix de cuivre et en murmurant quelques prières. Son petit enfant âgé de sept ans, elle l'avait quitté bien à regret. Il est si gentil avec ses grands cheveux bouclés, son visage luisant et ses yeux plein de candeur et d'innocence!... Vieux Jérome, lui, pouvait mourir; il avait quatre-vingt ans et les deux autres bébés étaient devenus des petits anges...

Maintenant, tous les quatre dorment le grand sommeil dans un coin du petit cimetière et sitôt leur tombe recouverte, tous leurs parents et amis ont repris le chemin de la montagne.

Arthur Divet,
Missionnaire eudiste de Natashquan et de ses dessertes


Références

L'Écho du Labrador Canadien, 01 juin 1904 par le Père Arthur Divet, Eudiste et missionnaire de Natashquan. Archives des Pères Eudistes, Société Historique de la Côte Nord.

Systèmes de poids et mesures et conversion en système international d'unités (SI) par Normand Perron, Institut québécois de recherche sur la culture, mars 1992